Comment écrire l’intime ?
Les personnages prennent le contrôle de la plume du romancier : un mensonge ? Aucun romancier n’écrit une fiction sans faire abstraction de ce qu’il est ; mais il avance masqué dans ses romans. Pourquoi et comment basculer alors dans l’écriture de l’intime ?
Annie Ernaud fait consensus chez les auteurs invités sur la grande scène pour appréhender l’écriture de l’intime : Philippe Besson (Julliard), Arnaud Cathrine (Verticales), Pauline Delabroy-Allard (Minuit) et Leonor de Recondo (Sabine Wespieser).
Chez Annie Ernaud, le livre respire le passé, une mémoire qui, jamais, n’oublie. La phrase d’Annie Ernaud, « Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais », est en effet mise en exergue par Philippe Besson dans son nouveau roman.
Philippe Besson s’est converti à l’écriture de l’intime avec Arrête avec tes mensonges quand il s’est rendu compte qu’il devait redonner existence aux disparus ou à l’enfant ou l’adolescent qu’il n’est plus.
Selon ce dernier, auparavant, on prenait des photos qu’on développait puis qu’on stockait dans des boîtes à chaussures qu’on redécouvrait par hasard parfois avec sourire parfois avec la honte.
« Je voulais redonner de la présence aux absents à ceux qui sont partis comme ceux qui figurent sur la photo jaunie. La mémoire nous joue des tours et donne sens à notre écriture. »
Léonor de Recondo raconte dans Manifesto, une nuit au chevet de son père en train de mourir pendant laquelle les souvenirs reviennent à la surface de la mémoire pour mieux dire au-revoir. Comment donner une continuité à une voix qui s’est éteinte ? L’écriture donne chair aux souvenirs et redonne voix au souvenir.
C’est une scène inaugurale très forte qui est à l’origine du titre. J’ai fait un rêve : je suis dans une petite pièce, ma mère, Cécile, assise sur un canapé, est très calme quand je suis entourée de milliers de bouts de papier à remettre en ordre. Je suis angoissée jusqu’à trouver mon manifeste : « Pour mourir libre, il faut vivre libre ».
Pour Pauline Delabroy-Allard auteur de Ça raconte, Sarah, écrire c’est trouver les mots pour transposer nos émotions « ce sera le silence et aucun mot pour le dire ». Elle a écrit dans des chambres dans une candeur face à la page. « Des insomnies, une scène m’obsédant ; je dois la coucher sur le papier. Point de bascule d’une histoire à sortir de moi. L’écriture de mon texte intime a été une épreuve physique terrible qu’heureusement je suis parvenue à conclure ! »
L’intime pour Arnaud Cathrine relève davantage de l’imagination. Pour lui, il faut sauver un temps où on ne sera jamais. Il se dit davantage un voleur de vies. « Des visages aimantent ; j’ai projeté dans mon livre J’entends des regards que vous croyez muets, leurs vies pour mieux finalement parler de moi et dresser mon autoportrait. »